Création collective au cinéma en Afrique et au Moyen Orient :
Formations, transmissions et réseaux pour quelle émancipation ?
On note à travers le monde une augmentation très rapide du nombre de productions filmiques et audiovisuelles, la distinction entre les deux se redessinant au gré des avancées technologiques, que celles-ci touchent la production ou la circulation des œuvres. Dans le sillon tracé par le Ghana et le Nigéria, de nouvelles industries se développent au Sénégal et en Côte d’Ivoire dont des plateformes diffusent les productions à des publics locaux et régionaux très enthousiastes. Le paysage de la production devenu multipolaire impose de nouveaux rapports de force dans la circulation des œuvres.
Qu’en est-il de la formation des techniciens et techniciennes dans ces espaces ? Les écoles de cinéma nées à l’orée des indépendances n’ont pas survécu. Au Sud du Sahara, l’Afrique du Sud est un des rares pays où formations universitaires et écoles sont bien implantées, mais de nouveaux programmes de formation émergent comme, par exemple, Africadoc depuis 2022, destiné au documentaire de création, ou encore l’école ouverte à Dakar en 2022 à l’initiative de Ladj Ly du collectif Kourtrajmé. Dans la région MENA, l’accès plus ou moins pérenne à la formation théorique et pratique s’est développé depuis plusieurs décennies. Et si pour les prétendants de la première génération, le passage par des grandes écoles en Europe était obligé, les producteurs aux EAU, au Liban, au Maroc, en Tunisie, etc., constituent leurs équipes en faisant largement appel à des compétences locales. En quoi l’accès local à la formation a-t-il transformé le fonctionnement des secteurs, les manières de produire, et les enjeux des industries locales ? Si la demande de production s’est fortement accrue, qu’en est-il de la formation et des conditions de travail des technicien.nes sur ces marchés ? Les manières de faire issues de ces formations et/ou des acquis de l’expérience locaux, permettent-elles de s’affranchir des préceptes, des conditions et des images imposées par les hégémonies occidentales ? Proposent-elles d’autres organisations du travail, d’autres représentations ?
Travailler dans le cinéma comme dans l’audiovisuel requiert savoirs, savoir être, et savoir-faire techniques importants, en sus de la flexibilité et des mises à niveau permanentes qui sont de mise à tous les échelons. Si beaucoup n’ont pas l’opportunité de voyager en dehors du pays, la question des visas est cruciale, nos enquêtes sur les technicien.nes menées dans le cadre du projet CREACOLCIN ont montré comment l’expérience s’acquiert souvent dans l’alternance entre des tournages locaux et des tournages étrangers. Ce qui relève le plus souvent de la nécessité représente aussi des opportunités de formation et de revenus. Nous aimerions rendre compte ici des points de tension que peuvent engendrer la circulation entre ces mondes. Comment sont aujourd’hui vécues les expériences de tournages étrangers dans les pays d’Afrique et du Moyen Orient ? Choix ou nécessité ? Quels enjeux pour les technicien.nes ? Comment y accède-t-on ? Quels sont les critères de sélection, les postes accessibles et pour quelles transmissions ? Quelles interactions, quelles fertilisations croisées, quels points d’achoppement ? Dans quelle mesure ces tournages permettent-ils aux travailleur.ses d’accroître localement leurs compétences et leur potentiel d’insertion dans les secteurs ? Que dire des rapports de pouvoir et de domination à l’œuvre dans la concurrence que se font les États des Suds pour attirer les grosses productions transnationales ? Quel est aujourd’hui le statut de telles productions dans les économies des secteurs locaux ?