Responsables du projet :
Philippe Bouquillion – LabSIC
Kira Kitsopanidou – IRCAV
AUTRES MEMBRES PARTICIPANT AU PROJET
(Nom, prénom, statut, équipe ou laboratoire de rattachement, discipline)
- Alix Bénistant, maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord, Laboratoire des sciences de l’information et de la communication (LabSIC)
- Christine Chevret-Castellani, maîtresse de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord, Laboratoire des sciences de l’information et de la communication (LabSIC)
- Laurent Creton, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris3, Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel (IRCAV).
- Olivier Thévenin, professeur à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris3, Centre de recherche sur les liens sociaux, (Cerlis)
- Luis Albornoz, professeur à l’université Carlos III de Madrid
- Maria Trinidad Garcia Leiva, professeure à l’université Carlos III de Madrid
1/ Les objectifs généraux du projet
Le projet de recherche « Plateformes de SVoD américaines et industries audiovisuelles en Europe. Mutations des marchés et des industries, diversité des contenus » vise à étudier certains des enjeux soulevés pour les industries audiovisuelles européennes par l’entrée des opérateurs américains de plateformes de SVoD en Europe.
2/La problématique
Si Netflix a fait son entrée sur le marché européen dès la moitié des années 2010, d’autres opérateurs américains sont arrivés plus récemment à l’instar de Disney+ (2020 en France) ou ont renforcé leur présence par une politique plus active de production ou des transformations de leur offre (Amazon Prime Video). De même, Paramount+, HBO Max et Peacock sont disponibles depuis 2021 ou sont annoncés en 2022 en France. Ces acteurs américains ont d’ores et déjà conquis une place centrale dans le marché de la SVoD en Europe, la part relative de Netflix s’abaissant au fur à mesure de l’entrée des autres opérateurs. En 2020, alors que selon l’Observatoire européen de l’audiovisuel (OEA) le nombre d’abonnements à la SVOD a augmenté de 46,1% en 2020, les abonnements passant de 122,4 à 178,9 millions, 72% de ce marché est détenu par quatre opérateurs américains dont Netflix (40%), Amazon (20%), Apple TV+ (9%), Disney+ (8%).
Dès le milieu des années 2010 et le déploiement de Netflix en Europe, les réactions de la part des autorités nationales, politiques ou de régulation ont été vives. Les acteurs historiques nationaux de l’audiovisuel ont subi une rude concurrence. Ils ont perdu à la fois des parts de marché, la maîtrise de la tarification des consommateurs finaux ainsi que des accès privilégiés aux contenus américains car les producteurs de ces contenus les réservent à leur plateforme afin d’atteindre directement les consommateurs à l’échelle transnationale. Les acteurs nationaux ont donc assez largement perdu leur rôle de relai.
Comment ces tendances ont-elles évolué avec l’entrée des autres opérateurs de plateformes ? Telle est la question centrale au cœur de ce projet. Le projet de recherche « Plateformes de SVoD américaines et industries audiovisuelles en Europe. Mutations des marchés et des industries, diversité des contenus » vise donc à étudier certains des enjeux soulevés par l’entrée des opérateurs américains de plateformes de SVoD en Europe pour les industries audiovisuelles européennes.
Les enjeux étudiés se situent à quatre niveaux
En premier lieu les enjeux réglementaires et de politiques publiques avec notamment la question de la transposition de la directive 2018/1808 sur les services de médias audiovisuels dans les systèmes juridiques nationaux des 27 États membres de l’UE ; les nouvelles obligations pour les acteurs audiovisuels (investissement dans les œuvres audiovisuelles locales ; quotas de contenu) ; l’implication des acteurs de la SVoD dans la formulation/mise en œuvre des politiques.
En second lieu, les structures du marché et leurs éventuelles mutations. À chaque niveau des marchés, de la création à la commercialisation, il convient d’examiner quels acteurs nouveaux se positionnent, s’ils sont européens ou étrangers, acteurs historiques de l’audiovisuel, nouveaux entrants, acteurs des industries du numérique (GAFAM, opérateurs de télécommunication), leur part de marché, les relations qui se nouent entre eux (par exemple notamment les accords de distribution de services et de commercialisation croisées).
En troisième lieu, les enjeux pour la production des contenus et leur diversité. Il s’agira d’examiner l’évolution des sommes allouées ; l’évolution des genres et types de contenus produits et diffusés et des catalogues (place des œuvres audiovisuelles européennes et nationales) ; les partenariats/accords entre les acteurs, tout spécialement entre les opérateurs de plateformes américains et européens et les acteurs européens de la production ; les évolutions des positions des « originals »/exclusivités ; coproductions. De même, il conviendra d’étudier si l’arrivée des opérateurs américains de plateformes de SVoD conduit au développement de nouveaux modes de faire dans la production (par exemple, data driven creation, renouvellement des modalités d’intervention des scénaristes, etc.).
En quatrième lieu, l’accent sera mis sur les stratégies de découvrabilité et les transformations du marketing : évolution des systèmes de tag ; l’utilisation de « labels » (par exemple « originaux » ou « exclusifs ») ; les utilisations des réseaux sociaux ; la promotion de la production nationale, les campagnes dites outdoor. Bien sûr les stratégies de production de data feront aussi l’objet d’une attention particulière.
L’équipe du Labex prendra en charge les recherches sur la France tandis que de façon conjointe les diverses équipes impliquées collaboreront pour saisir les enjeux transnationaux dont les co-productions par exemple.
Les enjeux esquissés ci-dessus sont bien sûr très larges même s’ils ne couvrent pas l’ensemble des enjeux qui pourraient être étudiés notamment du côté de l’intégration entre Frontend et Backend avec toute la question des infrastructures sur laquelle D. Hesmondalgh et R. Lobato[1] ont insisté. Il convient de rappeller que certains de ces autres enjeux sont traités grâce à d’autres programmes du Labex, notamment les enjeux de concentration industrielle (dans le cadre du programme Global media and Internet, dirigé par Dwayne Winseck, et dont le Labex est le partenaire en France). Comme cela est précisé plus loin dans la section relative à la méthodologie les choix définitifs relatifs aux grandes orientations problématiques et méthodologiques seront arrêtés lors de la réunion inaugurale de l’équipe française en présence des partenaires étrangers (espagnols, belges et italiens mais aussi latino-américains) des 22 et 23 septembre 2022.
3/ L’originalité et l’importance de la problématique et de la recherche envisagée dans le champ scientifique (état de la question appuyé sur des références bibliographie commentées)
Les plateformes numériques audiovisuelles et plus particulièrement les plateformes de SVoD ont fait l’objet d’une abondante littérature scientifique. Le degré de pénétration historique des contenus américains et la résistance des politiques publiques audiovisuelles ont donné lieu à diverses recherches dont celles de McDonald et Smith-Rowsey[1], Lobato[2], Albornoz et García Leiva[3]. Au-delà de ces débats, un intérêt particulier a été porté au lien entre plateformes numériques et nouvelles formes d’hégémonie (Jin[4], Athique[5], Lotz[6], Fitzgerald[7]). Depuis les années 1990, la question des relations de l’État avec les industries de la communication et de la culture, l’expression d’une « inquiétude » sur le pouvoir de marché et les formes possibles de distorsion de concurrence par des acteurs nationaux ou transnationaux, et la nécessité d’une régulation sont posées par des chercheurs. Certains chercheurs, dont Evens et Donders[8], ont abordé cette thématique en s’appuyant sur la notion de plateformisation. D’autres chercheurs ont abordé la question de « l’hégémonie de la distribution », entraînant des débats sur l’homogénéisation culturelle et la préservation de la culture nationale (Mohan et Punathambekar[9]). Il est important de noter qu’Adrian Athique (2016) fait la distinction entre les formes de contrôle sur l’infrastructure et les données (“impérialisme médiatique”) et l’influence du contenu étranger sur des marchés particuliers (“impérialisme culturel”). Cette distinction sera d’ailleurs importante pour notre recherche qui visera notamment à saisir des enjeux liés à l’inscription de la SVoD dans les infrastructures.
À l’échelle européenne, de nombreux travaux portent sur Netflix à l’instar notamment de ceux conduits par nos partenaires de l’université Carlos III de Madrid (Cf. leurs publications présentées ci-dessous). Si des recherches ne portent que sur des cadres nationaux ou des aires géographiques d’autres centrées sur Netflix ont néanmoins une dimension transnationale tels, par exemple, celles de Raats et Afilipoaie portant sur les stratégies de production des originals de Netflix dans une perspective transeuropéenne [10]. Les analyses transnationales relatives à Netflix peuvent aussi porter sur les enjeux de politiques publiques et de régulation à l’exemple des recherches de Kostovska, Raats et Donders [11].
D’autres travaux portent sur des contenus précis et visent notamment à mieux comprendre quels sont les clés du succès de ces contenus emblématiques, comme l’illustrent par exemple les travaux de Karen Arriaza Ibarra et Celina Navarro sur des séries espagnoles dont « La Casa de Papel » [12].
En France, les recherches sur la SVoD sont également nombreuses y compris au sein du Labex. Outre les participants à ce projet, citons par exemple les travaux d’O. Thuillas et L. Wiart sur les marchés de niches que forment les plateformes cinéphiliques[13]. Quelques travaux d’inspiration socio-économique ont été menés dont ceux de Taillibert et de Cailler[14]. Toutefois, ces travaux sont à développer et fort peu de recherches ont tenté, comme celle que nous proposons, de mettre en perspective à l’échelle française les quatre niveaux d’analyse : les enjeux réglementaires et de politiques publiques ; les structures du marché et leurs éventuelles mutations ; les enjeux pour la production des contenus et leur diversité et enfin les stratégies de découvrabilité et les transformations du marketing y compris les stratégies de production et d’analyse de data.
Les observations réalisées à l’échelle françaises seront mises en perspective avec les situations dans les autres pays européens (Belgique, Espagne, Italie) étudiées par les collègues européens et mises en perspective par rapport à des dimensions transnationales qu’il s’agisse des politiques et régulations au niveau européen ou des stratégies transnationales des acteurs industriels, tout spécialement dans la production et l’achat de contenus.
La méthodologie, qui sera précisée lors de la réunion inaugurale des 22 et 23 septembre 2022, devra permettre d’atteindre plusieurs objectifs scientifiques :
S’agissant des politiques publiques, outre le recensement de l’ensemble des mesures, l’objectif est de comprendre comment celles-ci pèsent sur les stratégies industrielles. Il conviendra, d’une part, d’adopter un point de vue global afin de saisir les positionnements des responsables des syndicats professionnels (par des entretiens semi-directifs), de suivre l’évolution des accords inter-professionnels mais aussi de développer une approche plus méso et micro par la sélection d’un petit nombre d’acteurs industriels (plateformes, acteurs historiques de la diffusion/exploitation, producteurs, distributeurs) afin d’examiner, à la fois par des entretiens semi-directifs mais aussi par des analyses de leurs stratégies industrielles, les enjeux que présentent pour eux les politiques publiques et la régulation.
Sur le plan de la structure des marchés l’analyse des données quantitatives existantes (CNC, CSA, DEPS, Observatoire européen de l’audiovisuel, etc.) permettra d’obtenir les informations présentées ci-dessus dans la problématique. De même, des analyses plus micro, conduites sur une sélection d’acteurs industriels (la même que celle qui aura été définie pour l’étude des enjeux industriels des politiques publiques), permettront de comprendre comment évoluent la position de ces acteurs dans les filières, quels rapports de force nouveaux se créent à la suite du déploiement des plateformes et singulièrement de l’entrée des plateformes américaines et comment leurs positionnements et modes de valorisation se transforment.
Cette même sélection d’acteurs permettra d’étudier les évolutions des « modes de faire » dans la production et des conditions d’allocation des ressources (le troisième niveau d’analyse présenté ci-dessus dans la problématique).
Enfin, s’agissant du quatrième niveau, celui du marketing et de ses nouvelles formes dont les services de traitement algorithmique des données. D’une part, les stratégies en la matière des acteurs industriels sélectionnés seront étudiées. D’autre part, des enquêtes pourront porter sur des entreprises proposant des services de traitement algorithmique des données en France pour le compte de plateformes numériques offrant des produits audiovisuels. Seront visées les petites entreprises. Elles pratiquent moins que les grandes le secret industriel. De surcroît, certains de ses prestataires, comme l’ont montré de premières observations, se différencient des offres dites de collaborative filtering, très présentes dans les grandes plateformes, en misant sur les dispositifs dits de content-based filtering. L’attention portera sur les différents niveaux de la filière : l’automatisation de la création et de la production, la recommandation pour la commercialisation mais aussi l’automatisation de la détection de contenus posant problème dans des plateformes (droits de propriété, violence, etc.).
[1] McDonald, K., Smith-Rowsey, D. (eds), The Netflix Effect: Technology and Entertainment in the 21st Century. New York: Bloomsbury, 2016.
[2] Lobato, R., Netflix Nations: The Geography of Digital Distribution. New York University Press, 2019.
[3] Albornoz, L. A. and García Leiva, M. T., “The economic integration of the main American SVoD platforms in the Europe: Netflix in Spain as a case study”, International Seminar Communication and Digital Cultural Platforms, Carlos III University of Madrid, July 12, 2019.
[4] Jin, D.Y. (2013) The Construction of Platform Imperialism in the Globalization Era. Communication, Capitalism & Critique, 11(1): 145-172, 2013.
[5] Athique, A., Transnational Audiences. Cambridge: Polity Press, 2016.
[6] Lotz, A. D., Portals: A Treatise on Internet-Distributed Television. Ann Arbor: University of Michigan, 2017.
[7] Fitzgerald, S., “Over-the-Top Video Services in India: Media Imperialism after Globalization”, Media Industries Journal 6.2, 2019.
[8] Evens, T, Donders, K, Platform Power and Policy in Transforming Television Markets, New York, NY : Springer Berlin Heidelberg, 2018.
[9] Mohan, S. and Punathambekar, Global Digital Cultures: Perspectives from South Asia. University of Michigan Press, 2019.
[10] Iordache C, Raats T, Afilipoaie A. Transnationalisation revisited through the Netflix Original: An analysis of investment strategies in Europe, Convergence, 28(1):236-254, 2022. doi:10.1177/13548565211047344
[11] Kostovska, I, Raats, T, Donders, K, “The rise of the ‘Netflix tax’ and what it means for sustaining European audiovisual markets”. Innovation: The European Journal of Social Science Research, 33(4): 423–441, 2020.
[12] Arriaza Ibarra, Navarro, Celina Trends and Perspectives on Digital Platforms and Digital Television in Europe| The Success of Spanish Series on Traditional Television and SVoD Platforms: From El Ministerio del Tiempo to La Casa de Papel, International Journal of Communication, volume 16, 2022.
[13] Thuillas, O., Wiart, O., «Les plateformes de VOD cinéphiliques : des stratégies de niche en questions », Les Enjeux de l’information et de la communication, N° 20/1, 39-55, 2019.
[14] Taillibert, C., Cailler, B., “Video on demand platforms, editorial strategies, and logics of production. The case of Netflix France, in L. Barra, M. Scaglioni, A European Television Fiction Renaissance, Routledge, 2020.