Liée au séminaire “Réseau de recherche sur les industries culturelles et médiatiques dans les pays de la région MENA”, la Journée d’étude « Productions et circulations des biens culturels : Le cas des pays du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord » aura lieu à la MSH Paris Nord le 6 septembre 2018 (salle 413).
PROGRAMME :
9 h00 – 9h30 : Accueil des participants
9h30– 13h : La production de l’information : enjeux nationaux et transnationaux
Bachir Benaziz, Figures journalistiques et transformations de la presse écrite en Egypte
La presse écrite égyptienne est souvent associée à des journalistes qui ont joué un rôle à la fois politique et journalistique important, mais sans jamais avoir fait l’objet d’une étude sociologique de terrain. Je voudrais ici focaliser l’attention sur les parcours professionnels de trois journalistes égyptiens qui ont occupé une place centrale dans la formulation et la définition des modèles journalistiques qui organisent le paysage journalistique égyptien. Chacune de ses figures incarne à la fois une période, un type de presse, une conception du métier et la rupture introduite dans les rapports qu’entretient l’univers journalistique égyptien avec le pouvoir politique. C’est le cas du journaliste Muhammad Hassanayn Haykal qui dirigea pendant 17 ans le journal al-Ahram, avec l’arrivée des « Officiers Libres » en 1952 et la naissance de la « presse d’État » ; Ibrahim Eissa, fondateur du premier journal privé, al-Dustûr (1995-1998 puis 2005-2010), avec l’investissement du secteur privé dans les médias à partir des années 1990 et la lutte contre régime de Moubarak ; et aujourd’hui, le journaliste Khaled al-Balchy, figure de la presse de gauche, ancien rédacteur en chef du quotidien privé al-Badîl (2007-2009), un des acteurs journalistiques et politiques les plus engagés contre le régime de Sissi et dont les différentes expériences dans la presse en ligne, illustre le combat actuel d’une partie des journalistes fondateurs de la presse privée qui promeuvent l’indépendance éditoriale, la stabilité professionnelle et l’engagement en faveur des catégories sociales défavorisées. Il ne s’agit aucunement ici de réduire l’histoire de la presse écrite égyptienne aux parcours singuliers de quelques journalistes très visibles, mais l’objectif est d’observer à travers leurs carrières, leurs écrits et leurs combats, des paradigmes professionnels conçus dans des époques et des conditions de production différentes. Ces études de cas nous renseignent ainsi sur le fonctionnement du champ médiatique égyptien et sa structuration.
Asmaa Azizi, La langue française dans le paysage médiatique tunisien. Quelle place ? Quelles représentations et quelles évolutions ?
La langue française occupe une place ambiguë en Tunisie. Langue non officielle, ni nationale, elle demeure une langue à la fois de la mobilité sociale et du monde des affaires. De même, son usage a longtemps caractérisé les productions médiatiques de la Tunisie considéré comme le pays le plus francophone du Maghreb. Il s’agit d’analyser ici, la place de la langue française dans les médias tunisiens et les différentes utilisations qu’ils en font. Sa présence serait symptomatique de caractéristiques à la fois endogènes et exogènes à la Tunisie. Cette étude des logiques historiques, politiques, économiques et sociales qui président à cette présence négociée du français dans les médias s’appuie uniquement sur l’analyse des productions médiatiques des médias dits « traditionnels » (télévision, radio et presse écrite). Dans le cas des médias audiovisuels, seules les productions médiatiques nationales ciblant directement les Tunisiens, tout genre médiatique confondu, ont été prises en compte. Notre méthodologie est avant tout qualitative, les entretiens compréhensifs constituant le cœur de notre démarche de travail. Une dizaine d’interviews avec des acteurs médiatiques tunisiens divers (journalistes, rédacteurs en chefs, directeur de médias, acteurs institutionnels) ont été conduit lors d’une enquête de terrain menée en Tunisie aux mois d’octobre et de novembre 2016.
Sarah El-Richani, The Lebanese Media. Anatomy of a System in Perpetual Crisis
The paper surveys the Lebanese media system and tries to identify the salient factors that have impacted it. In addition to explaining the nature of the Lebanese media system and the political system which it reflects, the paper explains why it is as such and how it compares to other countries. The research critically draws on the famed Hallin and Mancini comparative framework contributing some additional dimensions and ultimately a variation of one of their most popular models, the Polarised Pluralist/ Mediterranean Model. The paper draws on more than 60 expert interviews and the author’s book on the topic The Lebanese Media: anatomy of a system in perpetual crisis.
14h30 – 18h30 : Les conditions de la circulation des productions culturelles
Kaoutar Harchi, Littérature française – littératures francophones : un rapport de race à l’œuvre ?
Une attention portée aux rayons des librairies, aux départements universitaires de littérature, aux collections éditoriales ou encore aux manifestations littéraires permet de mettre au jour une organisation appuyée sur la distinction d’une littérature française, produite par des auteurs dits « français », et une littérature francophone, produite par des auteurs perçus comme « non-français ». Comment comprendre que ces productions littéraires de langue françaises ne soient pas rassemblées au sein d’un unique espace symbolique ? Dit d’une autre manière : à quelle nécessité a répondu et continue de répondre la distinction « français » / « francophone » ? À partir de l’étude des modalités de catégorisations littéraires de Kateb Yacine, auteur algérien de langue française dit « francophone », il s’agira d’éprouver l’hypothèse selon laquelle l’affectation d’un écrivain et de son œuvre à une catégorie littéraire spécifique est sous-tendue par un processus discursif, producteur d’altérisation. Et dans le cas qui nous occupe, de racialisation. Pour le dire autrement, les ambivalences de la reconnaissance observées seraient un effet du procédé de catégorisation littéraire qui, sous couvert de classer les œuvres selon des critères dits purement esthétiques, produisent, en pratique, le sens d’une différence intrinsèque et permanente, entendu comme « déterminisme essentialiste » (Guillaumin, 1972 : 28), opérateur d’un ordonnancement racialisé du champ littéraire français.
Sadia Agsous, La presse et l’édition palestiniennes en Israël : un champ culturel minoritaire arabe au sein du discours culturel hébraïque hégémonique
Pour comprendre et analyser la production culturelle arabe-palestinienne en Israël, il est primordial de prendre en compte ses réalités historiques, linguistiques, politiques et sociales marquées par un long conflit politique depuis 1948. En effet, cette année marque la naissance de l’État d’Israël et la transformation des Palestiniens en une minorité en son sein. Ce travail aborde la production culturelle et médiatique minoritaire arabe en Israël en tant que champ marginal au sein du discours culturel hébraïque qui revêt une importance à la fois locale et internationale, plus particulièrement dans les pays arabes du Moyen-Orient, d’une part. D’autre part, nous soulignerons à la fois la volonté d’une minorité bilingue arabe-hébreu dans le maintien et le développement de la presse, de l’édition ainsi que sa stratégie dans la reterritorialisation de la culture, de la langue et de l’identité « arabe » au sein d’un espace hébraïque exclusif.
Némésis Srour, Circulations des films hindis à Beyrouth, au Caire et à Dubaï : circuits marchands, politique et diasporas (1954-2015)
Dès les années 1950, l’industrie du cinéma de Bombay a conscience de la « popularité croissante » de ses films au Moyen-Orient (S. K. Patil, Filmfare, 1er mars 1956). Pourtant, l’Asie occidentale – terme sous lequel les Indiens dénomment parfois le Moyen-Orient – n’est devenue un marché majeur d’exportation pour les films hindis qu’après la guerre des Six-Jours en 1967. Le cinéma hindi apparaît ainsi sur les écrans égyptiens et libanais en deux vagues successives, dans les années 1960 et dans les années 1980. De Sangam (Raj Kapoor, 1964) à Suraj (T. Prakashrao, 1966), de ʼAl-fīl ṣadīqī (Haathi Mere Saathi en Hindi, Mon ami l’éléphant, M. A. Thirumugham, 1971) à Mard (Manmohan Desai, 1985), les films commerciaux hindis ont circulé au Moyen-Orient et ont marqué les mémoires. Alors que la popularité de ces films s’amenuisait dans un contexte de protectionnisme et de guerre civile en Égypte et au Liban respectivement, les pays du Golfe émergent alors comme un marché central pour les films indiens dans les années 2000. Face aux difficultés actuelles pour reconquérir le marché du reste de la région MENA, en-dehors du Golfe, les compagnies indiennes de distribution développent des stratégies culturelles pour promouvoir et faire circuler leurs films à travers la région arabophone.
Zahra Jahan-Bakhsh, Analyse des modes de diffusion de l’art contemporain au Liban
Depuis la fin des années 1990, et surtout à partir du début des années 2000, le nombre d’acteurs qui se consacrent à l’art contemporain du Liban se multiplie. Leur implantation est régie par deux facteurs : la formation d’une scène artistique internationale à Dubaï, carrefour de nombreux enjeux économiques, et la volonté récente d’acteurs privés d’investir la scène artistique libanaise. L’efficacité de ces acteurs au niveau de la reconstruction de la scène artistique et de la représentation de l’art contemporain du pays au niveau international, en la comparant avec son passé récent, s’avère très contrastée. Il semblerait en effet que les changements soient moins liés à la politique culturelle nationale qui est quasiment absente, qu’aux enjeux économiques entretenus par le marché international de l’art. En effet, les nouveaux acteurs qui offrent des moyens importants pour la diffusion de l’art contemporain, mettent ainsi en évidence le poids croissant des logiques économiques, du fait du poids du marché de Dubaï dans le développement de l’art contemporain au Liban.
Cette contribution analyse plus précisément le développement de l’art visuel libanais en se concentrant sur les enjeux des acteurs locaux dans la production et de la diffusion artistique entre champ économique, politique et culturel. En effet, la question de l’aménagement de la scène de l’art contemporain du Liban ne peut pas être traitée de manière sectorielle. C’est pourquoi, faute d’informations fiables sur le nombre d’acteurs et leurs activités, notre étude s’appuie tout d’abord sur une cartographie des acteurs du monde de l’art visuel, depuis 1990, c’est-à-dire l’année qui marque la fin de la guerre civile et le début de la période de reconstruction, jusqu’à 2017. Ensuite et afin d’identifier le champ d’activité de chaque acteur, en appliquant des critères définis pour cette recherche, nous proposerons une typologie de ces différents acteurs. Enfin, même si le champ économique est un facteur nécessaire à ces développements très récents, il n’est pas suffisant pour comprendre les transformations de la scène artistique libanaise. En effet, celles-ci sont avant tout liées à l’absence d’une politique culturelle.
Pour en savoir plus sur le projet de recherche et les séminaire : page du projet